Aiguille de la République : « République Bananière » à la journée depuis Chamonix
Avec Pierrot (Pierre Dujardin) et Léane (Léane Cantin), le 23 Juillet dernier, nous avons parcouru la mythique « République Bananière » à l’Aiguille de la République. Face au nombre de petites anecdotes et de souvenirs me revenant en tête, je me suis résigné à un récit chronologique pour que celui-ci soit un peu mieux organisé que le tas de matos et de vêtements jonchant sur le sol de ma chambre. N’étant pas doté d’une montre ni de Strava, les horaires sont donnés à titre purement indicatif.
L’histoire commence donc ce samedi 22 juillet sur le dernier parking gratuit de Chamonix devenu payant cette été (choooouueeeette…) :
22/07 16h 45min 48sec
Les friends, doudounes, cordes, dégaines, bonbons (ceux qui piquent, les meilleurs), duvets, matelas, maquereaux et jetboil sont étalés sur parking. Comme d’hab, les sacs sont trop petits pour tout accueillir, alors les compromis commencent. On troque un friend pour une tablette de chocolat (bêtiiiiiiise), une bouteille d’eau contre un sachet de schtroumpfs qui piquent (bêtiiiiiiiise) et on remplit notre lest petit à petit. Heureusement, ici, un petit train existe pour nous soulager de ce fardeau une bonne partie de l’approche. On part donc la fleur au fusil vers la gare du Montenvers.
22/07 17h10min 52sec
Oh les c**… La dernière montée c’était 17h… Pierrot nous propose donc un plan machiavélique qui traînait dans le coin de sa tête : réaliser la voie à la journée depuis Chamonix. Sur le papier, cela devrait représenter entre 24 et 28h d’effort. Entonnement, Léane et moi acceptons tout de suite la proposition. Je ne sais toujours pas si c’est l’optimisme de mes deux compères ou la flemme de marcher 5h avec un gros sac pour rejoindre un bivouac qui m’a fait tomber dans le piège….
22/07 19h16min 27sec
Lecture des topos et des compte-rendus (sans trop lire les horaires pour pas se faire peur) en dégustant notre spécialité : pasta al pesto i parmgiaano regiaaaano sur le parking de la DZ des Bois (encore gratuit!).
22/07 20h38min 34sec
Évidemment absolument pas fatigués mais on tente de se coucher quand même, au cas où…
22/07 21h48min 49sec
Première rotation d’hélico juste au dessus de la tête, dommage j’avais presque commencé à m’endormir !
22/07 22h16min 57sec
Deuxième rotation d’hélico, heureusement je n’avais pas encore réussi à me rendormir, ouf !
22/07 22h50min 14sec
Feux d’artifices !! Quelle chance ! Le bouquet final d’une nuit pourrie !
23/07 00h00min 00sec
Le réveil sonne, quelle horreur, on dormait si profondément… On tente un petit déj à base de chocolat/brioche/gâteau de Léane (miam) mais on sent bien que la digestion des pasta al pesto i parmgiaano regiaaaano est encore trop proche.
23/07 00h50min 09sec
Départ, torses poils, tête dans le guidon et sourire aux lèvres. La journée est trop difficile mentalement à concevoir dans son ensemble alors on se donne des petits objectifs : le Montenvers, la Mer de Glace, les échelles, le refuge. L’approche est longue mais on a le couteau entre les dents alors tout se déroule assez rapidement.
23/07 3 h 16 min 12 sec
On galère à trouver les échelles pour monter au refuge de nuit dans cet océan de caillou qu’est devenue la mer de glace. Léane et moi sommes déjà venus mais c’est bien Pierrot qui nous trouvera ces bouts de ferraille salvateurs
23/07 5h18min 28sec
Les cordées s’agitent au départ de la Tour Rouge. Ils ont trente minutes d’approche et 7 longueurs d’avance sur nous. Diantre, il va falloir être efficace !!
23/07 6h22min 52sec
A l’attaque !! On troque les grosses et les crampons pour les chaussons. Contents de laisser la longue approche derrière nous et d’enfin toucher ce magnifique granit qui s’est fait attendre trop longtemps. Pas les idées très claires de bon matin, je grimpe une fissure trop à gauche, difficile et dur à protéger. L’onglée aux doigts et aux pieds n’arrangent rien. Heureusement, la suite est plus commode et les longueurs s’enchainent rapidement sans perdre de temps ni trop d’énergie. L3 est déjà superbe dans un dièdre avec une fissure à main parfaite.
23/07 8h42min 18sec
Je donne mon nœud à Léane, symbole de passage de relais. C’est le moment idéal pour une sieste sur une petite vire herbeuse. Avec le manque de sommeil, il me faudra 7 secondes pour plonger dans mes rêves les plus profonds.
23/07 8h54min 33sec
Je tente de manger une barre qui décide de ne pas atteindre mon estomac et de ressortir sous forme d’un joyeux dégueulis remplissant la fissure de la longueur précédente. Heureusement, pas de cordées derrière nous et il a plu toute la journée du lendemain. A part cette parenthèse poétique, les belles longueurs s’enchainent dans une ambiance de mauvaises blagues et de discutailles en tout genre. La grimpe est plaisante entre des belles fissures prisues et des dalles où il faut jouer des placements. A l’exception de quelques mauvaises dalles douloureuses pour les pieds et les doigts à quelques mètres de gradins en III, l’itinéraire est splendide et très logique. On est clairement en train de prendre notre pied.
23/07 9h55min 24sec
Ça y est, le dièdre de tous les superlatifs est au-dessus de notre tête. Après l’avoir tant vu en photo, cette fois il est pour nous et on compte en profiter. Pierrot déroule en alternant grands écarts et dulfers féroces, le tout entrecoupé de quelques cris propres à lui. Derrière on profite de cette improbable longueur découpée au couteau. Les fissures accueillent les mains et les friends à la perfection. On arrive essoufflés et plein d’endorphine au relais. Rien que pour cet instant, ça valait le coup de se lever à minuit !
23/07 10h13min 17sec
C’est le moment que choisit le niçois de l’équipe pour confondre le mousqueton de sa vache avec celui de son Reverso. Cette action offre un joli dernier vol à ce précieux bout de métal. Après s’être insulté de tous les synonymes de canidés existant dans le dictionnaire, Pierrot sort les deux micros tracs pour nous permettre de le rejoindre.
23/07 12h24min 46sec
Un rappel foireux et deux longueurs nous mènent au quinzième relais où bivouaquent la plupart des cordées. Pour nous, ce sera simplement une pause fromage/ graines et un conseil des sages pour faire un point sur l’état des troupes. Pour ma part je commence à être bien cuit mais l’optimisme et la motivation de Pierre et Léane me remobilise grave ! C’est donc stimulés au max qu’on repart pour les dix dernières longueurs.
23/07 13h18min 24sec
Drôle de scène que celle qui se déroule devant mes yeux. Au-dessus de ma tête, Léane bataille et grogne dans un magnifique dièdre soutenu à base de pieds fuyants et de fissures à (petits) doigts. A mes pieds, Pierrot a confondu son lit avec une dalle en granit à trente degrés et plonge progressivement au plus profond de ses rêves. Mais… c’est qu’il ronfle en plus le bougre !!
23/07 15h09min 36sec
Les longueurs majeurissimes (et dures) s’enchainent, on grimpe de tout, des dalles, des dièdres, des écailles baqueuses, des knobs… Tout le répertoire gestuelle et technique y passe. Avec le vide qui se creuse je comprend que la beauté et l’ampleur de la voie sont vraiment à la hauteur du mythe. Côté humain, longueur après longueur, je mets de plus en plus la notion de libre de côté #rienàprouver. Léane enchainera toute la voie à vu (machina), pour Pierrot et moi (surtout moi), quelques pas ont été lâchement artifés entre L15 et L21. Partis grimpeurs, revenus alpinistes comme dirait l’autre !
23/07 15h38min 04sec
Sortie des difficultés techniques, et heureusement car nos doigts et nos pieds auraient eu du mal à subir une longueur de plus. Devant nous se dresse la magnifique arête aérienne de la voie normale. Les quelques pas de V chamoniard nous paraissent débonnaires et on se laisse glisser jusqu’au pied de la dalle sommitale en appréciant petit à petit ce qu’on est en train de réaliser.
23/07 16h43min 19sec
Après une dernière dalle en 6c où l’entièreté de nos prises de mains étaient des dégaines, on se retrouve tous les trois mal assis sur la splendide micro-plateforme du sommet de l’Aiguille de la République. J’avais espéré ce moment toute la journée sans vraiment y croire. En se donnant des petits objectifs tout au long, on est finalement là-haut au bout de 16h d’effort à essayer d’être le plus efficace possible tout en économisant notre énergie. J’ai la sensation d’un vrai travail d’équipe, on donnait tout lorsque c’était à notre tour de leader ou de gérer une section. On a pris soin les uns les autres et pris les décisions tous ensemble. Et comme d’hab, on s’est fait des blagues pourries toute la journée. On s’est régalé et c’est vraiment ça le plus important !
23/07 17h17min 56sec
Après ce très court moment de plénitude, nos pensées se tournent rapidement vers le chantier qui nous attend pour rejoindre Chamonix. Rappel, désescalade, rerappel, longer une vire ascendante, redesescalade, rererappel, rerererappel… Et ceux pendant 700m…
Suite au triste évènement de 10h13, Pierre et Léane sont condamnés à faire cette descente vachés l’un sur l’autre. Pour les rappels verticaux ça ne pose pas de problèmes mais pour les rappels peu raides, c’est une bonne galère. Ça nous permet de se marrer un peu dans cette descente, qui ma foi, n’a absolument rien de drôle. A cette heure-ci, on est évidemment la dernière cordée dans la face, surtout avec la grosse pluie et les orages annoncés dès le lendemain matin. Gloups !
23/07 19h35min 42sec
La recherche d’itinéraire dans la Voie Normale et le brassage de corde que nécessitent l’alternance des rappels et désescalades commencent à nous fatiguer sérieusement. On donnerait tout pour voler comme un choucas jusqu’au pied de la face. Faute du contraire on décide d’utiliser nos dernières forces pour rester lucides et ne surtout pas faire de bêtises. On atteint le bivouac de la Tour Rouge depuis lequel il ne reste que quelques rappels dans l’axe.
23/07 21h13min 45sec
On prend enfin pied sur ce fichu glacier et on s’autorise la première vraie pause depuis notre départ. Dégommage de saucisson, maquereaux, fromage, pain, barres… C’est ici que je savoure vraiment ce qu’on vient de faire. Toute la partie technique est derrière nous et même si le retour à Cham s’annonce infini, il ne peut plus rien nous arriver !
23/07 23h28min 24sec
Drôle d’ambiance sur les échelles après autant d’effort. On a l’étrange impression d’être dans un rêve. Ultime instant de concentration donc, ça serait moche de s’endormir là…
24/07 0h18min 49sec
Eh bah je l’imaginais moins longue cette mer de glace ce matin… enfin hier.
24/07 0h42min 57sec
Remontée infini des escaliers pour regagner le Montenvers. Ce soir, encore plus que d’habitude, on en veut aux choix politiques et sociétaux qui ont amené à ce foutu bonus de dénivelé positif dont nos grands-parents étaient encore dispensés.
L’avantage, c’est qu’à cette heure-ci on évite le bain de foule venu observer les derniers cris d’alerte de notre planète.
24/07 1h27min 34sec
Chaque bout d’herbe sur le bord du chemin pourrait être confondu avec un lit de roi. On lutte pour garder la motivation de rejoindre le camion.
24/07 2h15min 27sec
WOUHOUHH enfin le droit de dormir ! Comme à chaque fois qu’on se retrouve dans ce genre de plan on se dit : « Merci les copains c’était trop bien, par contre plus jamais !!! »
Pour les amoureux des chiffres (parce qu’il y en a beaucoup en montagne) c’était :
– 9h de marche
– 10h de grimpe (25 longueurs)
– 4h de rappel
– 2 micro-siestes
– 3 barres
– 67 blagues pourries
– 1 saucisson
– 1 vomi
– 1 Reverso perdu
– 3000m de D+
– Surtout beaucoup d’amour et de plaisir à partager un moment tous les trois en montagne !!!!!